Colloque international: Le football en régime autoritaire
(Université libre de Bruxelles, 2-3 mai 2018)

Philippe Vonnard,

Université de Lausanne

En date du mercredi 2 et jeudi 3 mai, un colloque international s’est tenu à l’Université libre de Bruxelles (Ulb) et a rassemblé une quinzaine de chercheurs - jeunes et expérimentés - issus d’une dizaine de pays et travaillant sur le domaine du football dans une perspective historique et/ou de sciences politiques. L’organisation de la manifestation est à mettre au crédit du Professeur Jean-Michel De Waele, membre du Cevipol (Centre d’étude de la vie politique) et a notamment été soutenue financièrement par le Fonds national de la recherche scientifique belge (Fnrs).

Soulignons-le d’emblée, le colloque fut une réussite, premièrement en raison de l’excellente qualité d’accueil/d’organisation des hôtes. Deuxièmement, le fil rouge de la manifestation était cohérent, les chercheurs étant regroupés dans des panels aux thématiques bien définies. Enfin, les participants ont montré un bel enthousiasme à présenter leur recherche. C’est pourquoi, les échanges furent riches et se sont prolongés durant les pauses café et lors du dîner de gala organisé le mercredi soir.

Le colloque s’est tenu sur une journée et demie et a comporté cinq panels. Après une introduction aux travaux de Jean-Michel De Waele suivie d’un bref propos de Marc Tarabella - député belge au Parlement européen et co président de l’Intergroupe Sport - qui a rappelé à l’assistance combien le sport et la politique était lié depuis fort longtemps, le premier panel avait pour but de traiter du cas du football dans les régimes autoritaires en Europe dans une perspective historique. Le premier intervenant, Fabien Archambault, a proposé de revenir sur l’investissement du fascisme italien dans le football et a montré que s’il y a bien eu une intervention du régime dans le jeu, celle-ci fut largement incomplète. Les trois communications suivantes ont porté sur des pays du bloc de l’Est durant la Guerre Froide. Ainsi, Sylvain Dufraisse a discuté des différents enjeux de l’investissement progressif du régime soviétique dans le football qui s’opère entre les années 1930 et les années 1960. A sa suite, Robert Adam a offert un large panorama des diverses interventions de l’Etat (notamment de la famille CeauČ™escu) dans le football roumain pendant la période communiste. Quant à Joris Lehnert, il a abordé le cas de l’ex-Allemagne de l’Est en montrant - ce qui n’est pas le moindre mérite, le sujet étant déjà relativement bien traité - que de nombreux aspects restent méconnus: par exemple, le contrôle ahurissant des spectateurs par la Stasi lors des matchs de compétitions européennes.

Les deux panels suivants avaient comme thématique «Football et autoritarisme hors d’Europe» et ont également vu des communications de type historique être proposées au public. Dans ce cadre, Brice Fossard a discuté de la politisation du football sur le territoire de l’actuel Vietnam lors de la colonisation française. Il a notamment souligné qu’à partir du milieu des années 1920, la pratique du football témoigne du changement qui est en train de s’opérer chez des élites indigènes de l’époque vis-à-vis du colonisateur. Puis, Claire Nicolas a présenté une communication sur les controverses qui ont existé autour de l’équipe des «Real Republicans», formation créée de toute pièce par les hautes instances du régime Ghanéen au début des années 1960 et composée des meilleurs joueurs du championnat. Pour conclure la première partie du panel, Lucie Hémeury a questionné l’investissement du football sous le Péronisme en Argentine. A cette occasion, elle a montré que s’il y a bien un lien entre football et pouvoir à cette époque, celui-ci se place en continuité avec ce qui se faisait durant la période antérieure. De plus, le sujet a également été l’objet d’une réécriture de l’histoire a posteriori par la junte militaire qui a fait tomber Péron.

Ensuite, Frédéric Louault est revenu sur le cas de la «démocratie Corinthienne». D’une part, en décrivant finement les différentes raisons qui ont permis sa mise en place au début des années 1980; d’autre part, en explicitant les raisons de sa fin ainsi que l’héritage laissé par cet épisode sur la société brésilienne. Philippe Vonnard a pris une autre perspective que la majorité de ses collègues et a abordé la manière dont la Fédération internationale de football-association (Fifa) a tenté de neutraliser par différentes décisions - entre les années 1930 et les années 1960 - l’impact de cette politisation croissante du jeu sur son action principale: à savoir le développement du football international.

Lors de la deuxième journée, ce sont des cas contemporains qui ont été abordés. L’anthropologue Christian Bromberger a montré toute la complexité de la politisation du football en Iran, que ce soit en matière de surveillance par le régime: que ce soit de la conduite des joueurs de la sélection; du contrôle des spectateurs dans les stades ou encore de la pratique du football par les femmes. Puis, la politiste Suzan Gibril a traité de l’utilisation du football - en particulier de l’image des principaux joueurs de l’équipe nationale - par les présidents égyptiens, Hosni Moubarak et Abdel Fattah al-Sissi. Dans la même perspective disciplinaire, Katia Gloriozova a mis au jour avec précision les rapports ambigües qui se sont tissés entre les hooligans russes et le pouvoir de Vladimir Poutine, depuis le début des années 2000. Sa communication a souligné qu’il fallait étudier ces liens avec finesse, ceux-ci pouvant changer selon les périodes et les objectifs du pouvoir en place.

Le dernier panel a également convoqué trois politistes et a permis, au travers des communications de Dağhan Irak puis de Gökçe Tuncel d’étudier différents aspects des rapports entre politique et supportérisme «ultras» en Turquie. Ce sont respectivement les actions du groupe «Barakat» du club de la minorité kurde Amedspor et «Beştepe» - très engagé politiquement et socialement - de la formation stambouliote de Besiktas qui ont été l’objet de réflexions. Enfin, Celestin Mvutsebanka a présenté une communication tout à fait originale sur le rôle des élites politiques dirigeantes du Burundi dans le développement récent du football avec une focalisation en particulier sur le président du pays… meilleur buteur du championnat national lors de la saison 2012-2013!

Dans sa conclusion, Jean-Michel De Waele a fait une brève synthèse des points forts traitées dans les communications (notamment le clientélisme, l’importance du stade dans le contrôle de l’Etat mais aussi comme lieu de résistance, le dialogue constant entre les instances nationales et internationales) et a insisté sur le bénéfice des croisement disciplinaires ainsi que la richesse des contributions proposées. Il a indiqué qu’une publication suivra sans aucun doute ce colloque et a émis le souhait qu’à l’avenir ce genre de manifestations puisse se renouveler. Je ne peux que corroborer ce souhait!